"L'ART ET L'OBJET : La société de consommation"

C.Oldenburg, "lipstick monument in Piccadilly Circus", projet 1966

C.Oldenburg, "lipstick monument in Piccadilly Circus", projet 1966

« Les Prisunic sont les nouveaux musées de l'art moderne » Martial Raysse

Amorcée dès la fin du XIXe avec la révolution industrielle, la société de consommation émerge au début du XXème siècle. Les objets industrialisés sont produits de plus en plus en série. L'art pose très vite la question de l'objet et de sa place dans nos vies. En 1914 le « porte-bouteilles » (ready-made) de Marcel Duchamp interroge l’art lui même dans la nouvelle société. Depuis Marcel Duchamp, les artistes et le public ne peuvent plus voir l’art de la même manière et cela va ouvrir de nouvelles possibilités aux artistes jusqu’à aujourd’hui.

Les sociétés occidentales, à commencer par la société américaine, sont marquées, après la seconde guerre mondiale, par une croissance économique sans précédent, les « trente glorieuses ». Les états et les citoyens s’enrichissent, le niveau de vie s’améliore, les produits de consommation courante inondent les supermarchés qui naissent aux États-Unis dans les années 50. C’est l’ère de l’abondance et de la publicité qui incite les citoyens à consommer toujours plus. Cette société de l’après-guerre et ses dérives vont inspirer des artistes. 

Le POP ART anglais apparait dans les années 1950, constitué d’un cercle d’artistes de l’Independant Group  dont l'Anglais Richard Hamilton avec son célèbre collage «Just What Is It that Makes Today's Homes So Different, So Appealing ? » (« Au fait, qu'est-ce qui rend exactement les maisons d'aujourd’hui si différentes, si séduisantes ? »). Dans ce collage d’images extraites de magazines, Hamilton fait une sorte de caricature de la société de l’époque, dénonçant le fait que les gens veulent tout posséder : les objets, les belles maisons, la beauté physique, tous les accessoires inutiles… et ne pensent plus par eux-mêmes parce qu’ils sont influencés par la publicité et les modèles que la société leur impose. 

Le pop art va se développer aux Etats-Unis dans les années 60, Il s’intéresse aux objets de consommation courante : lessive, Coca-Cola, aux produits de grandes marques… aux images tirées des médias : images populaires (star de cinéma et de la politique), publicité, BD, affiches… qu’il détourne. Ces objets ou images sont reproduits, agrandis, déformés, décolorés… ce qui en altère le sens. 

Parmi les principaux artistes de ce mouvement Roy Lichtenstein s’inspire fortement de la publicité et de l’imagerie populaire de son époque, ainsi que des “comics” (bandes-dessinées). Il se sert des aspects de la culture américaine pour la peinture, qui est son seul intérêt. Pour lui "L'art ne transforme pas. Il formule." 
Tom Wesselman utilise les règles de la publicité et réalise des images de produits de consommation (sandwichs, sodas, cigarettes et bière) qui deviennent des natures mortes aux couleurs criardes et aguichantes. Claes Oldenburg transforme la fonction et la signification des objets du quotidien (glaces, frites ou hamburgers, téléphones, lavabos, toilettes, produits de beauté, etc) en bouleversant leur échelle et leur matière. Il utilise des matériaux provocateurs, lavabo en carton ou en vinyle souple, frites en tissu et les reproduit de façon gigantesque en tant que monuments urbains, à en devenir monstrueux. De nombreux artistes du Pop Art viennent de l’univers de la publicité tel James Rosenquist et Andy Warhol qui emprunte à celle-ci son mode de reproduction : la sérigraphie.

Andy Warhol utilisait des photographies en noir et blanc, les recadrait, et les imprimait ensuite par sérigraphie (variant ou non les couleurs). Il reproduisait ses oeuvres par centaines, parfois même par milliers d’exemplaires, ce qui heurtait les idées classiques attribuant à une oeuvre sa valeur car elle est unique. Chef de file du Pop Art, Andy Warhol utilise les mêmes rouages que la société de consommation dans son travail artistique : il multiplie et assomme le regardeur. La « Campbell’s Soup Cans » est hissée au rang d’une icône artistique symbolisant la consommation. A l’inverse, les stars sont profanées car traitées comme n’importe quelle autre image (Marylin Monroe, Liz Taylor…). Il met ainsi en avant le fait que la répétition d’une même image, lui fait perdre une partie de son impact émotionnel. 

Avec les artistes du pop Art, l’art devient un produit de consommation comme le sont les images de Marilyn Monroe ou de la bouteille de Coca Cola, un produit médiatique et industriel à l’image de la société américaine des années 1960. 

Les artistes du pop art représentent des objets de consommation. Les artistes du NOUVEAU REALISME, eux, présentent les objets de la société de consommation. En France, ce groupe d’artistes regroupé autour de Pierre Restany décide en 1960 de produire un art proche de la réalité et propose d’utiliser les objets prélevés dans la réalité de leur temps empruntés au quotidien. Affiches lacérées pour Villéglé, accumulation d’objets usagés ou neufs pour Arman qui se moque du gaspillage de la société de consommation, mais les objets racontent aussi  l’histoire de leur propriétaire notamment avec la série des « poubelles ». Ces amas de détritus enfermés dans une boîte reflètent une atmosphère pesante et dénoncent une époque de consommation où tout est consommé en quantité abusive, puis jeté. César qui fait des tôles de voiture son objet fétiche, les « compresse », pour aboutir à d'immenses parallélépipèdes qui tiennent au sol comme des sculptures polychromes. L'utilisation de la voiture représente la civilisation urbaine et industrielle de notre époque. Martial Raysse élabore des assemblages où l’image photographique de femmes stéréotypées, joue avec l’objet réel dans une véritable “poésie objective”. 

Dans la mouvance des années 60, les artistes HYPPER-REALISTES montrent le monde de manière objective, ils en font un simple constat. Leurs créations sont presque plus réalistes que le modèle de base (photographie, moulage…). 

L’œuvre de Duane Hanson est consacrée à dépeindre la classe moyenne américaine pour l’immortaliser. Véritable miroir de la vie quotidienne américaine ses sculptures qui représentent le plus souvent des êtres humains dans leurs moindres détails (jusqu’au grain de peau) donnent l’illusion de la réalité. “Supermarket Lady” illustre parfaitement son temps, la révolution de la consommation de masses. Ralph Goings peint à partir de photos qu'il prend lui-même, ses sujets de prédilection sont les extérieurs de restoroutes et les natures mortes de tables de fast-food. Il se dégage de ses tableaux au fini extraordinaire une grande mélancolie et un silence angoissant, d'autant plus que le peintre vise tant à la dépersonnalisation absolue de la touche qu'à l'immobilité la plus totale. 

L’artiste conceptuelle Barbara Kruger recourt au photomontage le plus souvent limité à trois couleurs (le rouge, le noir et le blanc), associant images stéréotypées et texte provocateur à la typographie austère et au ton injonctif. Intimidantes par la violence des images et des propos explicitement dirigés vers le spectateur, ses œuvres prennent pour cadre la société de consommation ainsi que les minorités de toutes sortes, notamment raciales et sexuelles, soumises à l’autorité blanche et masculine.

Les travaux de Barbara Kruger prennent des formes diverses : expositions dans des lieux publics (panneaux d’affichages, sacs imprimés…), installations. En s'appropriant totalement l'espace, du sol au plafond, des mots et des images s'imbriquent les uns dans les autres. Utilisant film, vidéo, audio, une certaine virulence dans les propos souvent construits à partir de situations entendues, Barbara Kruger place le spectateur dans une situation équivoque, celle de sa propre dénonciation. Aussi le spectateur reçoit-il ces accusations : tu es vraiment trop nul, mais pour qui te prends-tu avec tes belles phrases, etc. Elle montre à quel point les représentations faites par les médias sont liées au pouvoir qui est exercé sur nous. Pour elle la manipulation des médias et de la communication visuelle sont des instruments qui tendent à aliéner l’être humain pour le pousser à acheter toujours plus, et qui font de l’homme un incontournable “accro” au shopping. L’artiste mène une considérable bataille contre le matérialisme de l’époque. 

Tony cragg se considère comme un archéologue de la vie moderne et s’étonne de ce que la société a produit, utilisé et fini par jeter. Une partie de son travail consiste à trier par couleur les objets récupérés et à créer des mosaïques colorées “dessinant” directement au sol ou sur les murs des galeries…   

Andreas Gursky dans une photographie de taille exceptionnelle nous invite à marcher dans les allées d'un supermarché, paradis de l'achat impulsif et déraisonnable. Cette oeuvre est une réflexion pertinente sur les fondements de notre société de consommation.  Dans le même courant contestataire, l’artiste Chinois contemporain Liu Jianhua dénonce l'invasion des produits chinois sur la planète. 

L’artiste Américain Chris Jordan réalise d'immenses photomontages de la série «Running the Numbers, un autoportrait américain ». Les photos illustrent des statistiques peu compréhensibles par le cerveau. En transformant les nombres en objets duplicables à l'infini il fait le portrait de la société américaine, de sa violence et de sa course effrénée à la surconsommation. Avec « Barbie Dolls » Chris Jordan illustre l’effarante statistique des opérations de chirurgie esthétique (augmentation du volume des seins) comme cadeau de fin d’études chez les adolescentes Américaines.

Moins célèbres, une foule d'artistes contemporains propose des œuvres qui ne sont souvent pas moins intéressantes. C'est le cas de Wim Delvoye artiste belge qui a tatoué en Chine des cochons d'élevage. Comme par exemple ce cochon tatoué avec le sigle de la firme française Louis Vuitton, sa portée critique étant de dénoncer l'exploitation de l'industrie de la mode, et par conséquent la consommation qui pousse la population à une certaine uniformisation. L’installation « ARTicle 14 débrouille-toi, toi-même » de Romuald Hazoumé est un hommage aux marchands des rues qui luttent pour survivre dans les villes d’Afrique de l’Ouest, elle met aussi l’accent sur les relations commerciales inégales établies depuis longtemps entre l’Europe et l’Afrique. Ici, l’utilisation d’objets de récupération : maillots de football, téléphones portables ou DVD importés des pays extérieurs à l’Afrique, met en valeur la débrouillardise des africains. 

La publicité suscite des besoins et génère des modes qui tendent à uniformiser les goûts, même si les sociétés occidentales demeurent très inégalitaires, nombreux sont ceux qui restent exclus de cette société de consommation. Les artistes posent la question de la surproduction de ses conséquences et de la répartition des richesses dans le monde.

E.A

MARCEL DUCHAMP "Porte bouteilles" (Séchoir à bouteilles ou hérisson)" - 1914 (1964) fer galvanisé, 64,2 x 42 cm (diam.) Centre Pompidou MNAM, Paris

MARCEL DUCHAMP "Porte bouteilles" (Séchoir à bouteilles ou hérisson)" - 1914 (1964) fer galvanisé, 64,2 x 42 cm (diam.) Centre Pompidou MNAM, Paris

Richard Hamilton, "Qu’est-ce qui rend nos foyers d’aujourd’hui si différents, si attirants ?", 1956 collage photographique, 26x25cm

Richard Hamilton, "Qu’est-ce qui rend nos foyers d’aujourd’hui si différents, si attirants ?", 1956 collage photographique, 26x25cm

Roy Lichtenstein : " M-Maybe " -1965 - Huile sur toile  /  R.L. en train de peindreRoy Lichtenstein : " M-Maybe " -1965 - Huile sur toile  /  R.L. en train de peindre

Roy Lichtenstein : " M-Maybe " -1965 - Huile sur toile / R.L. en train de peindre

Tom Wesselman « Still life » (nature morte) n°35, 1963 acrylique sur toile, 122x152cm / « Still life » MAÏS, n°24,  1962 peinture acrylique, objet en polymère 122.0 x 152.1 cm. Tom Wesselman « Still life » (nature morte) n°35, 1963 acrylique sur toile, 122x152cm / « Still life » MAÏS, n°24,  1962 peinture acrylique, objet en polymère 122.0 x 152.1 cm.

Tom Wesselman « Still life » (nature morte) n°35, 1963 acrylique sur toile, 122x152cm / « Still life » MAÏS, n°24, 1962 peinture acrylique, objet en polymère 122.0 x 152.1 cm.

Claes Oldenburg "Floor Burger" 1962, toile rempli de mousse de caoutchouc boîtes en carton  /  "Roue de bicyclette", la villetteClaes Oldenburg "Floor Burger" 1962, toile rempli de mousse de caoutchouc boîtes en carton  /  "Roue de bicyclette", la villette

Claes Oldenburg "Floor Burger" 1962, toile rempli de mousse de caoutchouc boîtes en carton / "Roue de bicyclette", la villette

James Roquenquist "President Elect", 1960–61/1964 , Oil on Masonite 
7 feet 5 3/4 inches x 12 feet
 Centre Georges Pompidou, Parisil on Masonite 
7 feet 5 3/4 inches x 12 feet
 Centre Georges Pompidou, Paris

James Roquenquist "President Elect", 1960–61/1964 , Oil on Masonite 
7 feet 5 3/4 inches x 12 feet
 Centre Georges Pompidou, Parisil on Masonite 
7 feet 5 3/4 inches x 12 feet
 Centre Georges Pompidou, Paris

Andy Warhol, "Campbell’s Soup Cans" (1962), Acrylique et liquitex en sérigraphie sur toile, série de 32 toiles de 50,8 x 40,6 cm chacune – MoMa, NY.  Andy Warhol, "Marilyn Monroe", (1967).
91,5 x 91,5 cm chacune, collection particulièreAndy Warhol, "Campbell’s Soup Cans" (1962), Acrylique et liquitex en sérigraphie sur toile, série de 32 toiles de 50,8 x 40,6 cm chacune – MoMa, NY.  Andy Warhol, "Marilyn Monroe", (1967).
91,5 x 91,5 cm chacune, collection particulière

Andy Warhol, "Campbell’s Soup Cans" (1962), Acrylique et liquitex en sérigraphie sur toile, série de 32 toiles de 50,8 x 40,6 cm chacune – MoMa, NY. Andy Warhol, "Marilyn Monroe", (1967).
91,5 x 91,5 cm chacune, collection particulière

Jacques Villéglé, Affiche lacerrée

Jacques Villéglé, Affiche lacerrée

Arman, "Petit Déchets Bourgeois", 1959 “accumulations de déchets dans plexiglass”

Arman, "Petit Déchets Bourgeois", 1959 “accumulations de déchets dans plexiglass”

César, "Ricard" 1962. Compression dirigée d'automobile 153 x 73 x 65cm

César, "Ricard" 1962. Compression dirigée d'automobile 153 x 73 x 65cm

Martial Raysse "Soudain l'été dernier", 1963
3 panneaux
, Assemblage : photographie peinte à l’acrylique et objets
100 x 225 cm

Martial Raysse "Soudain l'été dernier", 1963
3 panneaux
, Assemblage : photographie peinte à l’acrylique et objets
100 x 225 cm

Duane Hanson « Supermarket Lady » 1969, sculpture résine de polyester

Duane Hanson « Supermarket Lady » 1969, sculpture résine de polyester

Ralph Goings « Sothebys », peinture

Ralph Goings « Sothebys », peinture

Barbara Kruger « I shop therefore I am » « sans titre » 1987  /  Installation Barbara KrugerBarbara Kruger « I shop therefore I am » « sans titre » 1987  /  Installation Barbara Kruger

Barbara Kruger « I shop therefore I am » « sans titre » 1987 / Installation Barbara Kruger

Tony Cragg « Palette » 1985, techniques mixtes sur un mur

Tony Cragg « Palette » 1985, techniques mixtes sur un mur

Andreas Gursky « 99 cents » 1999, photographie

Andreas Gursky « 99 cents » 1999, photographie

Liu Jianhua  « Yiwu Survey » 2006 Installation

Liu Jianhua « Yiwu Survey » 2006 Installation

Chris Jordan « barbie dolls », 2008 , technique mixte

Chris Jordan « barbie dolls », 2008 , technique mixte

Wim Delvoye "Cochon Louis Vuitton"

Wim Delvoye "Cochon Louis Vuitton"

Romuald Hazoumé «  ARTicle 14  débrouille-toi, toi même» 2005, Installation, médias divers Londres

Romuald Hazoumé « ARTicle 14 débrouille-toi, toi même» 2005, Installation, médias divers Londres

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